mercredi 25 novembre 2009

Harry, le magicien-journaliste dans les cités franciliennes

Premier épisode d’une série documentaire crée par son protagoniste, « Harry Roselmack derrière les murs de la cité » a déferlé sur nos petits écrans hier soir à 23h15

Le principe est nouveau : le journaliste quitte les studios cosy de TF1 et décide de « s’immerger » pendant 1 mois dans une banlieue sensible de région parisienne, à Villiers-le-Bel, là-même où de violentes émeutes avaient éclaté en 2007 suite à la mort de deux adolescents. Il rencontre tour à tour les habitants du quartier et tente avec eux de comprendre leur vie au quotidien, en ces lieux réputés « sensibles » et « impénétrables », souvent stigmatisés par les médias

Premier constat : le projet du journaliste remporte un franc succès, suivi par près d’1,8 millions de spectateurs. Un succès qui lui permettrait de poursuivre l’émission dans d’autres villes de France

De prime abord, c’est un projet qui semble emprunt de démagogie. Qui pourrait mieux que Harry lui-même, notre Obama à nous, brillant journaliste issu de la « diversité », se frotter à un tel sujet si « politiquement sensible » ?

Mais c’est un projet souhaité par Harry lui-même qui a du convaincre TF1 de lui donner carte blanche : ce programme est adapté d'un format anglais présenté par Louis Theroux, journaliste phare de la BBC (coproducteur avec TF1) : « Le concept, explique Harry Roselmack, c'est observer et décrypter un milieu, regarder ce qui s'y passe et poser des questions. Sans vouloir être prétentieux, notre ambition serait de faire un peu de sociologie audiovisuelle, mais sans expert, ni spécialiste... »

Le format du reportage marque un point dans sa forme et pourrait pousser le processus encore plus loin. Le montage est moins présent comme il peut l’être dans les magazines d’information classiques (7 à 8, 66 Minutes…). Plus de place est laissé au plan séquence notamment dans les scènes de dialogues qui atteignent des durées record sans montage (presque 10 minutes), une nouveauté chez TF1 ! Cependant, on peut regretter la récurrence des plans serrés sur les visages et donc l’omniprésence des effets caméra. Peut-être faudrait-il emmener la réalisation du côté de Strip-tease : L'émission évoque l'attitude de sujets filmés, qui finissent par se dévoiler devant la caméra, laissant les spectateurs découvrir leur intimité

Enfin nous y sommes : Harry, cette gravure de mode à la force tranquille pose ses valises à Villiers-Le-Bel… L’image détonne un peu, presque irréelle. Mais une sorte de pression sociale émanant d’un « groupe » de la cité (on ne saura pas qui) oblige Harry et son équipe à plier bagage et s’installer dans un hôtel à proximité de la ville. L’immersion totale sera donc de courte durée…

Peu importe. Harry revient et poursuit son investigation. Tour à tour, il rencontre les habitants des cités de Villiers-Le-Bel dans un balai d’archétypes logiques défilant sous nos yeux : les policiers qui patrouillent, la mère de famille aimante, le patriarche raisonnable, les jeunes hommes en bande qui s’occupent comme ils peuvent, les jeunes filles qui veulent s’en sortir, les voisins curieux, le délinquant repenti…
Ici, personne n’est ni bon ni mauvais, tous appartiennent à une même communauté et vivent ensemble un quotidien finalement assez banal : les enfants vont à l’école et jouent dans les parcs, les mères s’occupent de leurs familles, les ados boxent et rapent, les policiers font leurs rondes…

Au final et au-delà de l’émission elle-même, des constats socio-démographiques forts : - une ville désertée par les « français de souche », « les gaulois » comme dit un agent immobilier à Harry : Villiers-Le-Bel s’est 93 ethnies qui cohabitent et plus de 95% d’habitants issus de l’immigration
- un taux de chômage de 19%
- une structure urbaine délaissée, un « ghetto » social comme dit Rex le grand frère de la cité. Le titre « derrière les murs de la cité » prend ici tout son sens : des cités-prisons, où l’architecture cloisonne, coupe du reste du monde
- « un théâtre de rue », où chaque génération endosse un rôle : les parents travailleurs luttant depuis toujours pour l’intégration de leurs progénitures ; les plus jeunes lancés sur le chemin de l’école tel l’avenir de notre pays ; « les grands frères » qui s’en sont sortis et au milieu, une génération sacrifiée, errante, touchée de plein fouet par le chômage et la violence, l’ennui et la résignation

« Harry Roselmack derrière les murs de la cité »,
le reportage-métonymie où la trame est à la fois fragment et totalité, conjugue détail et synthèse. Par le prisme de la ville de Villiers-Le-Bel s’est une plus grande réalité qui s’offre à nous : celle de ces espaces urbanisés, ces banlieues, dans ce qu’elles ont de plus négatifs.
Ni totalement urbains, ni totalement ruraux, des espaces qui semblent incomplets quasi dépourvus d’identité, des produits de l’histoire politique et économique oubliés. Des lieux où l’humain vit et survit, fait avec

Un format d’émission nouveau, à suivre car intéressant, sans moral ni jugement arbitraire mais encore formaté malgré des efforts de réalisation perçus : pas de musique, moins de montage, plus de place au dialogue. A méditer…


Pour poursuivre sur le sujet, quelques conseils de lecture :

La France et ses étrangers. L'aventure d'une politique de l'immigration de 1938 à nos jours
, Weil Patrick, Folio Gallimard, 1995
Sociologie de l’immigration, Réa André, La découverte, 2003
L'immigration ou les paradoxes de l'altérité, Sayad Abdelmalek - Paris, Kinsek/Méridiens, 1991

1 commentaire:

  1. A priori, il devrait y avoir un prochain épisode avec Geneviève de Fontenay...
    Le people est censé être un prétexte dans ces reportages pour intéresser le tout venant...

    bonne analyse en tout cas ! :)

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