vendredi 20 novembre 2009

Two Lovers by James Gray (2008) ou la tragédie grecque au cinéma

En écrivant un article sur Away we go, je me suis mise à penser au genre du « film d’amour », un exercice souvent périlleux, un vrai défi pour un réalisateur !

J’ai cherché dans ma mémoire quel film, assez récent, m’avait convaincu totalement, loin des codes classiques du genre…et ça m’est apparu, comme une évidence : le magnifique et sombre Two Lovers de James Gray (Novembre 2008), qui plus qu’une romance, se révèle être un troublant thriller amoureux passionnément hitchcockien.

Le talent de James Gray n’est plus à démontrer maintenant, depuis Little Odessa il s’est imposé comme l’un des cinéastes indépendants américains les plus doués de sa génération, aux côtés sans nul doute de Paul Thomas Anderson (Magnolia, There will be blood…).

Two Lovers est un tournant dans sa carrière : plus de coups de feux, les bons et les méchants ont été mis au placard : le polar des rues cède sa place à un trio amoureux magnifiquement orchestré.

« New York. Leonard hésite entre suivre son destin et épouser Sandra, la femme que ses parents lui ont choisie, ou se rebeller et écouter ses sentiments pour sa nouvelle voisine, Michelle, belle et volage, dont il est tombé éperdument amoureux. Entre la raison et l'instinct, il va devoir faire le plus difficile des choix... »

Le grand
Joaquin Phoenix incarne Léonard, un héros fragile et traumatisé par un échec sentimental, condamné à vivre dans un foyer familial étouffant. Presque comme revenu à l’état infantile, il arbore une démarche gauche et timide, trainant un corps dont il ne sait quoi faire. Il est couvé par une mère juive omniprésente et ramené à sa condition sociale par son père qui souhaite le voir reprendre l’entreprise familiale.

Et puis surgit la rencontre du feu et de la glace, la blonde
Michelle Rausch (Gwyneth Paltrow), voisine énigmatique et sensuelle ; la brune Sandra Cohen (Vinessa Shaw) la promise, celle que le père a choisi pour son fils.

Two Lovers ou la dialectique de la raison et de la folie ; du pérenne et de l’éphémère. Michelle incarne la beauté froide et insaisissable, la femme fatale ; Sandra est une femme rassurante symbole de la possibilité d’un foyer stable, la madone. La rencontre amoureuse devient symbole de cette dialectique : Léonard et Sandra s’étrennent pour la première fois sous le toit familial, dans la chambre de l’enfance, dans le lit douillé ; Léonard et Sandra dans une pulsion frénétique s’enlacent sur le toit de l’immeuble enneigé dans le froid glacial newyorkais.

Two Lovers
comme une tragédie grecque, où la dualité apollinienne-dionysiaque devient l’héroïne incontestée. Léonard, pris entre deux eaux, est constamment balloté par des flots tourmentés, où les femmes sont tour à tour maîtresses ou amoureuses (« Lovers » peut signifier les deux). Il en découle une atmosphère presque étouffante, une tension de chaque instant où chacun épit les gestes de l’autre : Léonard depuis sa fenêtre observe inlassablement Michelle, tel James Stewart fasciné par Kim Novak dans Vertigo (Alfred Hitchcock, 1958), cette cour qui les sépare comme symbole du vide et de la distance qui rend impossible leur union.

Au summum du tragique, Two Lovers n’est pas un film sur l’amour mais sur l’illusion amoureuse. Chacun des personnages est aimé par un autre qui ne l’aime pas en retour. Léonard veut ce que les conventions sociales ne lui accordent pas, grand leitmotiv des passions amoureuses qui auront traversé les siècles.
Entre le vide et le plein, le vertige de la passion ou le confort amoureux, il n’y aura pas à choisir. Les lois de l’attraction sociale auront raison au final, dans une séquence finale éblouissante, échos logique et fatal au début du film. Non, il n’y aura pas de tentative de suicide cette fois mais une fin bien plus tragique, celle du renoncement où dans un élan lyrique l’homme-enfant devient adulte. Léonard rentre chez lui et fera illusion, il épousera Sandra et reproduira ainsi le schéma tout tracé... dans un chagrin éternel.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire